Genèse – 18 – fruit

TAMEL AURAIT VU - letc1

Tamel venait de se réveiller.

Comme chaque jour Damouce l’avait rejoint peu de temps après qu’il ait émergé de ses rêves – La petite fille dormait toujours à l’écart, dans quelque recoin de ce monde, sachant bien que seule la conscience de Tamel lui redonnait chair.

Les deux enfants étaient sur le point de se partager quelques fruits et le jus d’une orange sanguine étendu d’eau, lorsqu’un animal passa au-dessus d’eux. Il était d’une agilité telle que Tamel ne parvenait pas à distinguer la place et la forme de ses membres, pas plus que la surface d’où brillait son regard.

L’animal semblait voler et cette illusion, il la créait en usant de lianes accrochées à diverses branches hautes, passant de l’une à l’autre avec la virtuosité de la langue d’un bonimenteur.

A l’un de ses passages quelque chose tomba dans le bol où les deux enfants s’apprêtaient à boire. Délicatement, Damouce tenta de retirer du liquide ce qui s’y trouvait à présent immergé. Ce n’était pas facile. La matière en était peu consistante et ne se laissait pas saisir. A chaque pression des doigts de la fillette une partie s’en détachait. Bientôt le tout se trouva dissous dans le contenu du bol.

Se penchant, Tamel y risqua le bout de la langue.

–         Mmm ! C’est bon !

Damouce pris le bol à pleines mains et bu. Un sourire illumina son visage. Elle tendit le récipient et Tamel bu à son tour.

A nouveau, ils avaient dormi. Mais cette fois-ci côte à côte. Le sommeil les avait saisis soudainement.
Éveillé, Tamel ressentait une impression nouvelle. Lorsqu’il posait son regard sur un arbre, un rocher, un oiseau et même sur Damouce, quelque chose avait changé dans la perception qu’il en avait. Dans sa présence même.

Une perte : il ne les voyait plus comme un tout à la manière dont le pêcheur voit la mer, l’oiseau le ciel et le poète son chant.

Mais aussi un gain : l’avant et l’après lui étaient devenus accessibles et, plus encore, il comprenait à présent le cours sinueux entre deux points suffisamment proches de leur passage dans le temps.

Et puis … il eut le désir de parler avec Damouce.
Non plus comme le rossignol, pour lancer et mêler un peu de lui-même à l’odeur des fleurs et des roches, mais comme il regardait à présent le monde autour de lui, pour en lire toutes les profondeurs.

S’il avait pu regarder au loin, à l’instant précis où lui et Damouce buvaient, Tamel aurait vu, autour du Grand Arbre, un beau halo bleuté de contentement.